Transition écologique et énergétique : l’État nous propose-t-il un futur décarboné ?

« Nous réalisons que ce que nous accomplissons n’est qu’une goutte d’eau dans l’Océan. 

Mais si cette goutte n’existait pas dans l’Océan, elle manquerait ».

 

Mère Teresa

La situation universelle, au moment où la planète devient une étuve, mérite qu’on change de paradigme.” Nous sommes le 28 août 2018. Nicolas Hulot, alors Ministre de la Transition écologique et solidaire, quitte le gouvernement Philippe, avec l’espoir que les sociétés “se retrouvent sur l’essentiel”.
Le 5 mars 2020, la France épuise son quota de CO2 pour l’année (selon l’objectif de neutralité carbone fixé pour 2050 par l’accord de Paris). Le 6 mai, à l’aube du déconfinement et par le biais de sa Fondation, Nicolas Hulot déploie “100 principes à partager” pour créer un élan collectif.
La crise sanitaire que nous vivons met les organisations politiques face à leurs responsabilités. Les initiatives se multiplient mais ne s’imposent pas : les décisions doivent être à la hauteur de l’enjeu et de nos problèmes systémiques.

Des engagements qui ne suffisent plus

“Pour la première fois de l’Histoire humaine, notre survie dépend de notre réflexion quant aux conséquences de nos choix sur l’avenir à une échelle globale. Toute vie sur Terre est en danger à cause de notre ignorance et notre inaction”, explique Gunter Pauli, écrivain, conférencier, et instigateur de l’économie bleue dans L’économie bleue 3.0*.
Depuis 20 ans, les avancées politiques ont été nombreuses, mais ne suffisent plus. 2001 voit la naissance de la loi NRE, obligeant les 700 plus grandes entreprises cotées à rendre compte de leurs impacts sociaux et environnementaux : c’est le début de la stratégie RSE, l’époque où l’on prend conscience des ressources sollicitées pour le développement économique. En 2002, Jacques Chirac alerte “Notre maison brûle et nous regardons ailleurs”, depuis le Sommet de Johannesburg. Les mots “développement durable” commencent à prendre possession du débat public.
L’Accord de Paris se tient en décembre 2015 et le One Planet Summit naît dans sa lignée, deux ans plus tard, réunissant 4000 participants pour le 1er sommet. Objectifs : plus d’engagements et une mobilisation conjointe de tous les acteurs de la vie publique et du monde économique pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Il regroupe 12 grands engagements, dont l’évolution vers des transports non polluants, source majeure d’émissions de gaz à effet de serre, avec l’industrie de l’élevage et l’industrie textile. 48 pays se sont engagés à réduire leurs émissions de 50% d’ici à 2050 dans le transport maritime par exemple.

Un spectre redouté

Les Etats ont prouvé qu’ils étaient capable d’agir. Et vite. “Le jour d’après, quand nous aurons gagné, ne sera pas un retour au jour d’avant“, déclare Emmanuel Macron, le 16 mars 2020, veille du 1er jour du confinement. Pourtant, aujourd’hui, on observe une offensive des lobbies, alors que le moment est justement venu d’aller vers une économie bas carbone : “Il ne s’agit pas de retomber dans le soutien aux activités les plus émettrices en gaz à effet de serre, qui ne fera qu’exacerber le risque climatique”, précise le Réseau Action Climat dans une note publiée mi-avril 2020.

Les cinq plus grandes compagnies pétrolières privées mondiales, BP, Chevron, ExxonMobil, Shell et Total et des organisations représentant le secteur des énergies fossiles, ont dépensé plus de 250 millions d’euros entre 2010 et 2018 en lobbying auprès de l’Union européenne. “Cela s’inscrit dans une attitude chronique de l’industrie des énergies fossiles, qui fait tout pour retarder, affaiblir ou torpiller les actions pourtant si nécessaires en faveur du climat”, explique Pascoe Sabido, de Corporate Europe Observatory.

Les experts : les nouveaux acteurs politiques ?

Politiques publiques, entreprises, banques, lobbys, citoyen, qui impacte l’autre ? Jean-François Galloüin, professeur à l’École CentraleSupélec et à l’Essec, responsable d’un Master Spécialisé “Centrale Essec Entrepreneurs”, fondateur et ancien dirigeant, s’interroge : “C’est une question très compliquée. Tout est imbriqué. L’acteur politique, c’est l’élu. Mais qui est derrière la Loi ? C’est le citoyen. Or, les citoyens sont les consommateurs. Certes, les entreprises peuvent influencer, orienter, mais elles restent pluggées au consommateur”.

Pour Romain Pillard, navigateur, fervent défenseur et promoteur de l’économie circulaire : “Le législateur ne va pas encore assez loin. On ne peut pas fabriquer quelque chose sans proposer un traçage, une possibilité de garder un échange avec le fabricant, pour allonger la durée de vie, le recycler, etc. L’impact d’un projet se calcule dès le départ, lors de sa création”.

L’intégration des critères climatiques et environnementaux est devenue une condition sine qua non pour l’émergence de politiques nouvelles. Des projets hybrides, multi-acteurs, nécessaires pour casser les silos, fleurissent : les univers académiques, scientifiques, industriels, étatiques, ont besoin de retrouver un langage commun. Alain Renaudin, figure du biomimétisme en Europe, abonde en ce sens, expliquant récemment à BaseX : “Il est évident que les acteurs politiques et entreprises doivent travailler de concert. Tandis que la sphère politique a le pouvoir de légiférer, de grandes instances d’experts comme le GIEC, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, ndlr), doivent de plus en plus devenir des acteurs politiques, au sens noble, des gestionnaires du bien commun”.

L’IPBES, organe intergouvernemental indépendant créé en 2012, fournit aux décideurs des évaluations scientifiques objectives de l’état des connaissances sur la biodiversité de la planète, issues de toutes les disciplines scientifiques et des communautés de savoir, proposant des données pour les politiques publiques, accélérant ainsi leur mise en œuvre (gouvernement, secteur privé et société civile). Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), évalue quant à lui l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses impacts et identifie les moyens de limiter l’ampleur du réchauffement et de s’adapter aux changements attendus. Pour le monde maritime spécifiquement, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), établissement public officiant sous la tutelle du ministère de la Transition Ecologique et Solidaire et du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, met en oeuvre le projet “Pourquoi pas les abysses ?”, lequel générera de nombreuses et nouvelles connaissances sur la biodiversité marine.

De l’importance des mouvements citoyens

Décembre 2018. 4 organisations de protection de l’environnement et de solidarité internationale assignent alors l’Etat français en justice devant le Tribunal administratif de Paris pour inaction face aux changements climatiques : Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme (FNH), Greenpeace France et Oxfam France. Objectif ? Faire reconnaître par le juge l’obligation de l’État d’agir pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C. C’est “L’Affaire du siècle”. 1 million de signatures récoltées en moins de 48h. La pétition compte à ce jour 2 303 671 signataires et s’inscrit dans une dynamique mondiale, où les citoyens n’hésitent plus à saisir la justice (levier pour l’action) pour que les droits fondamentaux soient garantis face aux changements climatiques. Oui, le pouvoir est aussi dans notre portefeuille, dans notre assiette, dans nos paroles. Dans nos choix.
*L’Economie bleue 3.0, Gunter Pauli, Editions de l’Observatoire, 2019.

Alexandra Corsi Chopin