« Lobbys, transition écologique, bien commun : tout est politique » Dina Rahajaharison

Dina Rahajaharison a commencé sa carrière dans le secteur privé avant de rejoindre le Parlement Européen pour être plus proche de ses convictions et œuvrer pour le bien commun. BaseX a rencontré cet ancien directeur de cabinet au Parlement européen, acteur du changement au parcours atypique.

Bonjour Dina. Pourriez-vous nous parler de votre rôle, vos missions, au sein du Parlement Européen ?

Je devais m’assurer, entre autres, que les régulateurs (les autorités en charge du maintien de l’équilibre du système économique, ndlr) et les établissements financiers prennent en compte les risques liés au dérèglement climatique dans leurs activités. Les banques et les régulateurs ont un rôle à jouer pour que les moyens soient investis dans des projets plus sobres en ressources naturelles. L’argent investi n’a pas la même répercussion sur la planète selon qu’il l’est dans des actifs comme le pétrole ou dans un moteur à nageoire comme FinX.

A quel point la transition écologique est-elle engagée au Parlement ?

Le débat sur les enjeux environnementaux existe depuis longtemps au niveau européen. Mais ce n’est que récemment que l’Union Européenne s’est dotée d’une stratégie pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Ce plan s’inscrit dans le cadre plus global de l’Accord de Paris de 2015. Il y a un engagement politique évident au niveau macro, mais est insuffisant. S’assurer de l’intégration de la composante écologique dans chaque loi européenne est un combat de chaque instant.

Lake Maggiore as seen from Alpe Leciurt, in Valgrande National Park, Piedmont, Italy

Ce qui nous amène à cette réflexion : un capitalisme responsable est-il possible ?

La recherche du profit reste l’un des moteurs du capitalisme, mais elle ne pourra pas s’exonérer de la prise en compte de la dimension écologique.

L’État est-il tout puissant ?

Si l’État ne régule pas, le changement est moins rapide. L’État a une puissance de frappe intéressante : il peut inciter, soutenir, encadrer ou empêcher quand c’est nécessaire. Par exemple, interdire les OGM rend leur culture plus difficile. Les agriculteurs concernés doivent délocaliser ou faire différemment.

Que pensez-vous de son rôle dans la transition énergétique ?

Faut-il aujourd’hui aider le secteur de l’aviation civile qui a été durement touché par la crise, ou, au contraire, en profiter pour se dire que ce type de mobilité est néfaste pour l’environnement ? C’est là une vraie question. En tant qu’arbitre des projets de long terme, l’État a sa carte à jouer. L’État doit avoir un rôle de stratège. Il doit réfléchir à la notion de bien commun face à des citoyen·ne·s ou des entreprises plus orienté·e·s vers des décisions qui concernent leur quotidien. L’entrepreneur·e qui a envie de gagner beaucoup d’argent n’a pas forcément, tout·e seul·e, l’envie de respecter l’environnement. Mais si l’État organise l’activité économique de telle sorte que celle ou celui qui entreprend puisse gagner de l’argent et préserver la planète, il bâtit un partenariat gagnant-gagnant. Je vous donne un exemple. La Norvège est passée d’une flotte de véhicules polluants à une flotte électrique en une décennie. Certes, c’est un pays peu peuplé, mais c’est un formidable laboratoire à petite échelle. Il ne faut pas oublier que les dimensions économique et écologique sont indissociables de la dimension sociale. Le gouvernement norvégien a dû ainsi penser à celles et ceux qui n’avaient pas les compétences pour monter des moteurs électriques. L’État doit aussi avoir un rôle d’accompagnement dans la reconversion professionnelle.

Qui l’Etat écoute-il ?

On vit dans un monde caractérisé par la fragmentation des expertises, dans lequel il est devenu difficile de parler de vérité en raison de l’essor des théories du complot. Il faut pourtant que l’Etat apprenne à mieux écouter la science. C’est là par exemple l’atout du GIEC, cet acteur qui alerte la communauté internationale depuis des décennies sur les dangers du réchauffement du climat. Son rôle est politique, car il a en vue notre bien commun. La noblesse de la politique réside dans la défense du bien commun et la construction du vivre ensemble.

Comment est-il possible de composer avec les lobbys ?

Tout d’abord, il faut bien préciser que certains intérêts mis en avant par les lobbys peuvent être compatibles avec ceux de la société. Parfois, leur expertise technique peut éclairer le débat démocratique. Ensuite, il faut se rappeler que les lobbys ont toujours hanté les couloirs des institutions, en Europe comme en France. Et ils ne se cachent pas forcément. Ce qui est essentiel, c’est le discernement. Il faut savoir afficher un comportement éthique et les traiter à la place qu’ils méritent : des organisations qui défendent un intérêt particulier, qui n’ont pas nécessairement en vue le bien commun et peuvent disposer d’une force de frappe colossale.

A-t-on des normes qui permettent d’améliorer la transparence ? Sait-on qui rencontrent les lobbys, sur quels sujets ?

Si oui, on favorise l’éveil des consciences. On se donne une chance de contrer les initiatives contraires à l’intérêt général de grandes entreprises privées comme BlackRock, dont le moindre mouvement peut faire bouger le marché dans son ensemble. Au bout du compte, les politiques ne pourront pas ignorer les voix de celles et ceux qui les ont élu·e·s.

En France, quelle est notre conception du pouvoir ?

Nous avons une vision très hiérarchique du pouvoir. Celle ou celui qui le détient doit pouvoir s’imposer aux autres. Or le rôle d’un·e dirigeant·e devrait être de parvenir à modérer, équilibrer, apaiser. On gagnerait beaucoup à transformer notre conception du pouvoir. Mais pour le moment, le pouvoir est là pour contraindre, du bas vers le haut. Ce qu’il manque ? Sagesse et humilité.

Pensez-vous que les mouvements citoyens sont nécessaires pour que l’État bouge ?

L’individu tout d’abord, en tant que citoyen·e, a un rôle capital. Il a le droit et le devoir d’aller voter. Ensuite, les mouvements citoyens sont des respirations qui permettent de dialoguer avec l’État, en faisant remonter des urgences. On a tous en tête le mouvement des gilets jaunes. Évidemment la limite c’est l’exercice de la violence. Je crois au progrès à travers les institutions, quand elles sont démocratiques, et je crois aux mouvements de protestation, à partir du moment où ils sont non-violents.

Quels sont les pays qui vous inspirent ?

Les pays nordiques et leur conscience accrue de ce qu’est l’équité. Leur système éducatif ne vise pas à produire des élites. Chacun·e, et pas seulement quelques individus éclairés doit pouvoir avoir un socle solide de connaissances fondamentales pour que toute la collectivité puisse en bénéficier. Le Costa Rica aussi, pour sa politique environnementale extraordinaire. On pourrait s’en inspirer pour mener nos politiques publiques en matière de biodiversité. Enfin l’Allemagne, du point de vue du respect des libertés fondamentales.

Pour un meilleur demain, quelle est selon vous la priorité absolue ?

L’éducation. C’est l’élément transformateur et catalyseur des changements dans une société. L’État n’est que le reflet d’une démocratie vivante, la représentation d’une volonté générale. Il faut apprendre aux enfants les notions de responsabilité collective et de bien commun.

Alexandra Corsi Chopin