« Cap sur l’économie du nouveau monde » Corinne Lepage

CORINNE LEPAGE

Corinne Lepage a choisi de dépasser les combats des carcans politiques aux clivages passéistes. Avocate associée au sein du Cabinet Huglo-Lepage, premier cabinet d’avocats spécialisé dans le droit de l’environnement, ancienne Ministre de l’Environnement sous le gouvernement Juppé, euro-députée de 2009 à 2014, cheffe d’orchestre d’un rapport pour la création d’une Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité mandaté par le Président Hollande en 2015, Présidente du mouvement citoyen Cap21, Corinne Lepage est une figure phare de l’écologie politique en France. Entretien avec l’avocate, la femme politique, mais avant tout avec la citoyenne engagée, ô combien soucieuse pour demain.

Bonjour Corinne Lepage.

Nous souhaitons interroger tout d’abord la citoyenne engagée que vous êtes. Quels sont les sujets qui vous touchent ou inquiètent particulièrement ?

Bonjour BaseX. Je répondrais sans hésiter l’équité intergénérationnelle : notre responsabilité vis-à-vis des jeunes, notre responsabilité vis-à-vis de nos ressources, du vivant. J’ai par ailleurs une très grande inquiétude à l’égard de la place que les intérêts économiques et les lobbys ont pris dans les sociétés contemporaines. Les décisions actuelles ne sont pas celles qu’il faudrait prendre dans l’intérêt de nos concitoyens et de manière plus générale de l’humanité, du bien commun.

Notre société évolue dans une sorte de triptyque : citoyen/Etat/entreprise, chacun se nourrissant l’un de l’autre. Or, en 2009 vous disiez “La société civile ne peut plus compter que sur elle-même pour assurer son avenir”. C’était après le sommet de Copenhague. Aujourd’hui vous présidez le rassemblement citoyen Cap21, et votre slogan est “Construisons-nous mêmes demain”. Cet été, on l’a vu, la 1ère Convention Citoyenne pour le Climat a eu lieu et va dans ce sens. Quel est votre regard quant à cette initiative ?

Nos concitoyens ont fait un formidable travail en démontrant la capacité de la société en général, qu’ils représentent, de comprendre parfaitement les problématiques. Je mettrais à cela deux bémols. Premièrement, certains sujets qui fâchent ont été écartés. Prenons le sujet de l’énergie. La question du mix énergétique est complètement sortie du débat. Pour moi, il est impensable parler d’énergies renouvelables et de sobriété énergétique si l’on occulte le sujet du nucléaire dont il faut sortir à l'horizon 2040... Je vois un second bémol. Il y a eu une part d’instrumentalisation non négligeable de toute cette affaire, de la part de l’Etat et du gouvernement. On a le sentiment d’être entrés dans un entonnoir. Si 150 mesures ont bel et bien été présentées, de nombreuses ont été écartées : on renvoie cela à la moulinette des administrations et en définitive, il n’y aura peut être pas grand chose. Mais, il faut le reconnaître, c’est tout de même une très belle expérience.

A propos, Bercy a annoncé 30 milliards pour la transition écologique. Avez-vous espoir quant à la concrétisation des propositions de la Convention Citoyenne ?

La question est double. Dans ces 30 milliards, qu’y a t-il de nouveau ? Qu’est-ce qui n’est pas du recyclage de mesures déjà décidées ? Et que met-on dedans ? Si l’on inclut des opérations qui touchent au nucléaire, je ne considère pas qu’il s’agit de transition écologique. Si l’on inclut le fait d’aider les citoyens à avoir des moteurs thermiques moins polluants, cela n’est pas non plus pour moi de la transition écologique. Je reste très attentive quant à savoir ce que l’on va mettre dans ces investissements..

BaseX - Cap sur le nouveau monde

Vous avez été membre du CoPol (Comité Politique) pour l’élection d’Emmanuel Macron.
Aujourd’hui quels sont vos liens avec le gouvernement ?

Je n’entretiens aucun lien avec le gouvernement. Au sein de Cap 21, mouvement que je préside (je précise que j’ai pris le parti de ne plus me présenter à des élections), nous ne défendons absolument pas la politique menée actuellement par le gouvernement. Je me suis complètement éloignée à la fois des choix environnementaux, des choix sociaux et du mode de gouvernance actuel. Il me semble que l’on s’éloigne de plus en plus d’un système réellement démocratique et de la nature de la campagne présidentielle basée sur le « bottom up ». Ça ne me convient pas du tout.

Que manque-t-il pour que les consciences évoluent rapidement ?

Les consciences en effet, c’est ce qui évolue le moins facilement. Je promeus depuis 2015 – et au départ c’était à la demande de François Hollande-, un texte qui s’appelle La Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité, qui commence à prendre une ampleur internationale très encourageante. C’est un texte très simple, que chacun peut s’approprier, qui a l’avantage d’avoir été au départ porté sur les fonts baptismaux par l’Etat Français, par le Président de la République. Aujourd’hui, c’est un texte complètement porté par la société civile, y compris par les collectivités territoriales, par un certain nombre d’entreprises et des ONG. Il se diffuse beaucoup parce qu’il peut justement servir de base universelle quant à savoir ce que l’on peut faire aujourd’hui pour assumer ses responsabilités. Il est traduit dans une quarantaine de langues, signé par de très grandes villes, comme San Francisco, New-York, Madrid, Copenhague, Paris etc., soutenu par l’organisation internationale CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis, ndlr), regroupant 240 000 villes dans le monde.

Toujours se poser la question de savoir si ce que l'on fait est juste. On ne peut pas toujours faire ce que l'on doit faire.
Mais on peut toujours éviter de faire ce qu'il ne faut pas faire.

Avez-vous confiance pour demain ?

Jamais les choses ne m’ont paru aussi graves et difficiles qu’aujourd’hui. Mais il n’est pas bon de céder au pessimisme. On ne peut pas avoir le luxe de ne pas être optimiste.

Un dernier mot sur vous. Qu’est-ce qui est fondamental pour vous ? Ce qui vous meut au quotidien ?

Avoir le sens de la justice. Dans le temps, dans l’espace et en permanence. Toujours se poser la question de savoir si ce que l’on fait est juste. Il y a toujours la possibilité de faire le choix de ne pas faire. On ne peut pas toujours faire ce que l’on doit faire. En revanche, on peut toujours éviter de faire ce qu’il ne faut pas faire.

Alexandra Corsi Chopin