Proteus : l’exploration sous-marine à l’orée d’une nouvelle ère

Fabien Cousteau B&W

“On parle souvent de l’Océan, immensité bleue dont on ignore pourtant tout. Proteus doit devenir la plateforme qui puisse nous relier en temps réel avec ce qui nous permet d’être”.
L’humanité a exploré 5% de l’Océan. Par ignorance, elle a bien davantage investi dans la conquête spatiale plutôt que dans la recherche sous-marine, préférant aller chercher si loin ce qui se trouve peut-être chez nous (informations pour la science, la médecine ou encore l’industrie).
L’idée de Fabien Cousteau est révolutionnaire : Proteus, divinité marine grecque aux aspects protéiformes, donne son nom à la future station d’exploration sous-marine, la plus grande et la plus sophistiquée jamais conçue (370m2). Installée à 18 mètres de profondeur au large de l’île de Curaçao réputée pour ses immenses récifs coralliens dans la mer des Caraïbes, la base sous-marine devrait être habitable en 2024.
Fabien Cousteau continue de repousser les limites du possible.

Nos recherches seront axées sur le changement climatique et sur le micro-plastique qui s’infuse dans l’Océan. Nous allons croiser les talents et favoriser l'hybridation des compétences. Le temps de la mission, 12 aquanautes évolueront en effet en permanence au sein de Proteus. Par la suite, nous envisageons de créer un réseau de bases sous-marines, réparties à sept ou huit endroits stratégiques du globe.

Pourquoi implanter Proteus au large de l'île de Curaçao ?

Il s’agit d’un endroit peu exploré, aux récifs coralliens en très bon état et à la biodiversité fabuleuse ! Cette zone offre des possibilités de recherche approfondie, les fonds marins atteignant par endroits 800 mètres. Le gouvernement de Curaçao, très enthousiaste quant au projet, nous a donné une autorisation d’accès quasiment immédiate.

Comment Proteus sera-t-elle agencée ?

Des conteneurs seront installés à l’intérieur et à l’extérieur pour permettre aux scientifiques d’étudier des organismes et des plantes non stressés, intacts. Il s’agit là d’une avancée majeure : ces organismes ne feront donc pas de réaction aux changements de pression et de température que supposent habituellement les prélèvements océaniques. Par ailleurs, la station sera reliée à la surface par une ligne qui transportera de l’air respirable et des communications. La vie marine et le quotidien à bord de Proteus seront filmés en continu, grâce à une installation de production vidéo et partagés à des universités pour qu’elles puissent suivre, lors de sessions, les recherches et découvertes en cours.

Quelles sont les réponses que vous voulez obtenir ?

Avancer sur la connaissance des fonds marins, car moins de 5% de l’Océan ont été explorés. On parle souvent de cette immensité bleue dont on ignore pourtant tout. Proteus doit devenir la plateforme qui puisse nous relier en temps réel avec ce qui nous permet d’être. L’humanité s’est dessinée une trajectoire égoïste, mais nous avons l'opportunité de la faire bifurquer radicalement, dans un laps de temps qui s’abrège de jour en jour. Il est évident que la crise écologique, dont dépend la survie de notre espèce sur cette planète, nous affecte profondément, même inconsciemment. Nous sommes dans la 6e extinction de masse, la seule à avoir été causée par une espèce, qui plus est l’espèce humaine. Nous n’avons que trop peu conscience du grand tout que nous formons avec la nature, trop peu conscience également de l’interdépendance entre toutes les espèces. Nous sommes complètement déconnectés de l’Océan. C’est pourtant grâce à lui que toute vie sur la planète existe.

Comment la première mission s'organisera-t-elle ?

Elle sera dédiée à des randonnées de base et à des recherches appliquées sur les fonds marins aux alentours de Proteus. L’expédition, qui sera réalisée avec mon équipe, consistera à perfectionner les fonctions de Proteus ainsi qu’à étudier la psychologie et la physiologie humaine, puisque nous serons nombreux, 12, (contre 6 en moyenne jadis). Je ne peux pas vous révéler encore sa durée, mais ce que je peux vous dire, c’est qu’elle sera unique ! Pour les missions qui suivront, nous ferons appel à des structures de recherche différentes, en fonction des sujets : recherches de biochimie, perfectionnement de robots, etc. Nous sommes en pourparlers avec le MIT, Nausicaa, l’Institut Océanographique - Fondation Albert 1er Prince de Monaco et de nombreuses autres.

En 2014, vous avez mené la Mission 31, au sein du laboratoire sous-marin Aquarius, dans les Flordia Keys. Est-ce elle qui vous a donné l'envie de créer Proteus ?

Il est évident que la Mission 31 a renforcé nos approches et nos convictions. Nous avions axé nos recherches sur le changement climatique et la surconsommation d'espèces marines (surtout les poissons). Nous avions alors pu être connectés avec plus de 100 000 étudiants pendant 31 jours, c’était formidable. Quand nous avons eu terminé la mission, nous avons transmis nos résultats à Stanford University, au MIT et à Northeastern University, avec lesquels nous avions des partenariats. De nombreux papiers de recherche ont été publiés entre 2015 et 2017. Proteus sera d’envergure plus importante, ce qui permettra d’y évoluer relativement longtemps et de pousser plus loin les recherches.

Qu'est-ce qui vous transporte tout particulièrement ?

Créer une station internationale sous-marine était l’un de mes plus grands rêves, donc avec Proteus, nous sommes à l’orée d’une nouvelle ère. Il manquait un outil majeur à l’exploration sous-marine, je m’en suis vraiment rendu compte avec la Mission 31 : les sous-marins, les robots et la plongée ne suffisent pas, ainsi, un habitat laboratoire sous-marin tel que Proteus ouvre des perspectives extraordinaires. Par ailleurs, j’ai une passion pour tous les vivants. Je suis heureux en exploration lorsque je découvre une panoplie de vies, de couleurs, de mouvements. Connaître toujours un peu plus l’Océan permet de se connaître un peu mieux. Mon grand-père disait très justement : “Les gens protègent ce qu’ils aiment, ils aiment ce qu’ils connaissent et ils connaissent ce qu’ils apprennent”. Il suffit de s’intéresser à l'environnement pour que, naturellement, nos décisions s’ancrent dans une démarche d’amour envers la planète.

Alexandra Corsi Chopin