Un artisan de paix : interview avec Laurent Gounelle

Laurent Gounelle

“Là où sont nos forces et nos talents, là est notre mission”.

Il est de ceux qui inspirent avec sagesse, douceur, justesse. D’aucuns parleraient de lui en évoquant une âme ancienne. Dans sa vie - terrestre - d’avant, Laurent Gounelle travaillait comme jeune cadre au sein de la direction financière d’une grande entreprise, avant de bifurquer vers le développement personnel : d’abord se former et puis accompagner, à son tour. Par la suite, “sur le tard” selon ses dires, il embrassa l’écriture. D’un verbe sémillant, Laurent Gounelle partage ici avec générosité et sollicitude ce qu’il retient de 2020, les missions qui incombent à son rôle de père, ses inspirations et aspirations artistiques et surtout ses souhaits pour un monde plus harmonieux et une biodiversité reconsidérée.

Comment expliquez-vous le monde à vos enfants ?

Pierre Rabhi narre dans l’un de ses livres une anecdote assez édifiante. Alors que l’un de ses amis vînt, un jour, l’aider à couper du bois, celui-ci remarqua un arbre majestueux dont le soleil, de sa lumière vespérale, cerclait d’or les contours. Son ami s’exclama : « Il y a là au moins 10 stères ! ». Cette anecdote est sans appel : elle illustre notre dissociation absolue de la nature, nous qui passons notre temps à l’exploiter. Notre lexique même le démontre… Comment appelle-t-on un agriculteur ? Un exploitant agricole. Or, l’écologie devrait être au centre de nos vies. Elle pose la question de la place de l’être humain sur Terre. Élément de la biosphère à part entière, il a bien trop souvent tendance à s’en extraire, à s’en croire séparé. Il faut (ré)apprendre à aimer, à mettre l’attention sur, à admirer. Le rôle des parents est en cela crucial. Les valeurs écologistes se transmettent tout simplement par l’amour de la nature. Il est essentiel d’amener les enfants à sentir qu’ils appartiennent à la nature. Il s’agit, selon moi, d’une éducation de l’esprit.

Comment appréhendez-vous l’évolution du monde ?

Les peuples premiers d’Amazonie formulaient une prière après avoir prélevé un animal à la nature. Nous, nous exploitons les animaux et exterminons ceux qui nous gênent, à commencer par ceux que l’on appelle les nuisibles. Cependant, si la situation est très préoccupante, j’ai foi en l’être humain et en l’éveil des consciences. Je suis quelqu’un d’optimiste, sans pour autant faire montre d’un optimisme béat car l’optimisme à toute épreuve peut être une façon de mettre la tête dans le sable et donc de ne rien changer. Néanmoins, de plus en plus nombreux sont ceux qui réalisent que l’humanité appartient à la nature. Nous évoluons au sein d’un réseau, en interaction avec les animaux, les insectes, les plantes, le grand tout. Je pense que l’on évoluera vers une préservation de l’harmonie de l’ensemble, vers une certaine forme de sobriété. Il n’est évidemment pas question de retour à la bougie, comme s’en gaussent très volontiers certains de nos politiques. L’agriculture de demain sera selon moi locale, ce qui changera tout : nos relations aux autres, le business et la mondialisation, sans que les échanges n’en soient pour autant exclus. D’aucuns manifestent une foi aveugle en la technologie, leur permettant de ne pas remettre en question leurs modes de vie. Il est pourtant illusoire de croire que la technologie nous offrira toutes les solutions. Les décisions à prendre passent avant tout par des responsabilités individuelles, j’en suis convaincu. Je ne crois pas qu’il suffise de demander à nos gouvernants de prendre des décisions et je ne dis pas ça pour les blâmer. Lorsque l’on est au pouvoir, on est là pour gérer un pays pendant quelques années et il est humain de souhaiter être réélu. La transition écologique, comme toutes les transitions, est coûteuse et implique des souffrances. Or, on n’aime pas demander des efforts aux citoyens. En revanche, je mise sur l’individu. C’est moi qui suis en train de créer le monde de demain, par mes décisions, par mes choix de vacances, par mes choix d’alimentation, avec mon porte-monnaie. Ces actes nécessitent des efforts personnels.

À quoi l’entreprise de demain pourrait-elle ressembler ?

Je crois qu’il y aura beaucoup moins de très grandes entreprises et c'est tant mieux. Plus l’entreprise devient grande de par sa taille, plus l’écart se creuse entre les décisionnaires et ceux qui œuvrent sur le terrain. Il est humainement plus aisé de prendre des décisions difficiles et d’imposer des choses aux personnes quand on ne les voit pas. L’empathie est forcément moindre. Je pense aussi qu’il y aura de moins en moins de salariés. Les jeunes d’aujourd’hui sont très attachés à leur liberté, ils n’ont plus nécessairement envie d’appartenir à une entreprise. Ils sont davantage à l'écoute de leur cœur et de leurs envies. Il leur sera plus motivant de rejoindre ponctuellement une société autour d’un projet que d’en devenir salarié et de suivre une évolution de carrière selon l’ancien modèle… Demain, la plupart d’entre nous serons, je le pense, consultants et se rejoindront sur des projets.

À quoi correspond la réussite d’une entreprise selon vous ?

Au fait de croire en son projet. Si l’entrepreneur parvient à transmettre sa croyance en ce qu’il fait et à donner l’envie d’y croire, alors il gagne. La notion de sens est essentielle. L’allégorie du tailleur de pierre et du bâtisseur de cathédrale est souvent mise en avant dans le monde du consulting. Le tailleur de pierre taille ses pierres 7h par jour en mettant en œuvre ses compétences mais en n’y trouvant pas forcément de sens. En revanche, si son patron lui annonce "Nous sommes en train de bâtir une cathédrale !" et s’il est de surcroît chrétien, il se sentira participer à un projet qui aura du sens pour lui. Ses compétences se verront décuplées, il sera porté, animé et donnera le meilleur. L’entreprise peut soulever des montagnes, à condition que les membres de l’équipe partagent la vision de l’entrepreneur.

Comment transposer cela dans le monde concret de l’entreprise ?

Pour moi dans la direction d’équipe, il conviendrait de dissocier les rôles de leadership et de management. Le management est la gestion du quotidien, tandis que le leadership est la transmission de la vision, c’est-à-dire la mission, le “why” et ce que l’on a envie de transmettre en tant qu’entrepreneur. Quand les entreprises se développent, cela devient plus compliqué car l’entrepreneur n’a plus le temps de porter son message et les relais managériaux ne savent pas forcément transmettre l’envie ou ne peuvent le faire, faute de temps. En fait, il faudrait que chaque personne en position managériale connaisse la vision de l'entreprise, comprenne l’importance de la porter et sache la partager. Les belles phrases qui vous sont présentées sont souvent élaborées par des consultants et il y a parfois peu de rapport avec ce qui a vraiment façonné l’idée originelle. Elles correspondent à un positionnement, une segmentation marketing, souvent loin de ce qui a allumé la lumière dans les yeux de l’entrepreneur. Je vais vous relater une anecdote, issue de mon parcours d’écrivain. Mon premier livre a été traduit en Espagne, mais n’a pas été très vendu là-bas. Plus tard, mon éditeur français a proposé mon 2e livre (un vrai pavé !) à l’éditeur espagnol. Celui-ci a demandé une coupe du texte de 20%, selon l’argument suivant : les livres épais sont difficiles à vendre. Je m’y suis formellement opposé. Mon livre était dans sa version aboutie et il n’en changerait pas. Vous vous en doutez, mon éditeur espagnol a refusé de me publier. En revanche, un autre éditeur, l’un des plus grands éditeurs au monde, intéressé, m’a contacté. J’ai signé. Résultat : l’éditrice en a fait un best-seller en Espagne et j’étais numéro 1 des ventes en Argentine et en Colombie. Alors pourquoi ? La raison ne vient pas des qualités intrinsèques du livre, mais bien de cette éditrice qui croyait profondément en mon ouvrage. Elle a su transmettre son envie, ses croyances, sa conviction aux commerciaux du réseau dans les différents pays et aux libraires. Voilà la clef. Y croire, absolument.

Que souhaitez-vous retenir de 2020 ?

Le virus a changé notre vie, induisant des comportements de méfiance vis-à-vis d’autrui. Il est complètement effrayant de considérer son alter ego comme une menace. Il est fort probable que notre relation à la nature soit la cause de ce virus, directement lié à la surpopulation. On ne peut plus continuer de parler d’écologie sans parler de cela. Si ce virus fait autant de ravages aujourd’hui, c’est parce que l’on est trop nombreux. En moins d’1 siècle, l’humanité est passée d’1 milliard à 8 milliards d’individus. C’est une question de responsabilité individuelle. L’être humain a cette croyance qu’il est au-dessus des autres espèces. Je m’oppose à cette idée. 2020 aura eu le grand mérite de nous rendre un peu plus humbles (« humble » vient d’ailleurs de “humus” et “homo” qui signifient « terre »). 2020 est l’opportunité extraordinaire de changer les choses qui doivent l’être, de changer de paradigme. À nos dirigeants aussi de saisir cette occasion.

Parlons arts ! Parmi vos livres, quels sont ceux qui vous ont rendu fier ?

Je ne suis pas fier des livres que j’ai écrit. En général, je suis fier du livre que je suis en train d’écrire. Mais une fois publiés, j’ai tendance à juger très sévèrement mes ouvrages. Vous savez, quand je commence l’écriture d’un livre, je me dis systématiquement : “Il faut enfin que t'écrives un bon livre”.

Artistes, musiciens, écrivains, quelles sont vos inspirations ?

J’ai une évidente prédisposition pour le classique. Chopin me touche très particulièrement, il était inspiré par Dieu, si Dieu existe. J’avais arrêté le piano pendant 20 ans, mais voilà que je m’y remets depuis 2 ans ! J’aime beaucoup Rachmaninov, Beethoven, Bach, Brahms et Liszt également. En littérature pure, je pense que les Mémoires d’Hadrien de Yourcenar est mon livre favori. S’il y a un livre que j’emporterais sur une île déserte, ce serait celui-là. Ensuite, je citerais le plus psychologue des écrivains, Dostoïevski avec qui on en apprend plus sur la psyché humaine qu’en lisant Freud ou Jung. Il avait une compréhension extraordinaire des fonctionnements humains. Joseph Campbell, grand mythologue et professeur américain, m’a également beaucoup inspiré, ainsi que Milton Erickson, père de l’hypnose et grand psychiatre américain ou encore Robert Dilts, auteur et conférencier spécialiste de la PNL. En philosophie, je suis très attiré par les stoïciens bien sûr, parce qu’ils étaient convaincus du rôle de chacun dans l’atteinte du bonheur, de par la façon de voir le monde, de vivre, de penser et de faire évoluer le prisme du regard, là où d’autres considéraient qu’il incombait à la société de rendre l’être humain heureux. En peinture enfin, je suis très touché par les grands maîtres hollandais. Souvent, les artistes ont cette capacité de percevoir de façon non intellectuelle la réalité du monde qu’ils transmettent dans leur art en donnant des messages. Rembrandt peut me permettre d’accéder à un autre état de conscience. Lorsque l’on est touché par un tableau, on perçoit cette réalité-là, on la comprend, on la fait sienne, jusqu’à ressentir une forme de vérité.

Comment parvenir à découvrir ses talents ?

Chacun de nous a des talents propres. Je crois que l’on vient sur Terre avec une mission et un bon moyen de la découvrir est d'être à l’écoute de ses talents. Qu’est-ce que j’aime faire dans la vie ? Qu’est ce qui allume cette petite lumière au fond de mes yeux ? Je pense que notre conscience s’incarne. Elle vient habiter un corps, pour nous permettre d’expérimenter et de réaliser notre mission. On vient avec une âme et un ego. Notre ego voudra nous faire croire que l’on est meilleur que les autres en s’accrochant à des fausses identités. En nous amenant vers tout ce qui nous valorise, l’égo nous éloigne de notre mission et donc de nous-mêmes. A contrario, certaines choses vont nous mobiliser et l’on se sentira complètement investi, à tel point que l’on sera dans le dépassement de soi. Croire en une mission signifie qu’elle touche une fibre profonde en nous-mêmes. Quand on est happé par notre mission, on fait corps avec l’action, on devient l’action, on devient ce qui est notre mission. Chacun gagne à découvrir ses talents. Cela peut passer par un travail d’introspection. Là où sont nos forces et nos talents, là est notre mission. Vous savez, je suis resté 2 ans au chômage. Cette période m’a permis de réaliser une chose que j’ignorais jusqu’à alors : j’existais indépendamment de cela, indépendamment de la réussite professionnelle. J’ai alors compris qu’il n’était pas si important de réussir ou d’échouer. Mais j’ai surtout compris que ma valeur était ailleurs.

Alexandra Corsi Chopin