Capitalisme Responsable : est-ce possible ?

« Un entrepreneur est quelqu’un qui se jette d’une falaise et construit un avion sur le chemin de la descente ».


Reid Hoffman, fondateur de LinkedIn

Levées de fonds records, entrées en bourse fracassantes… l’économiste Milton Friedman explique en 1970 dans le New York Times que la responsabilité sociale de l’entreprise est de faire du profit.

Or, cette représentation d’hier de la réussite n’est plus compatible avec demain. 

Et si l’on commençait par changer ses propres représentations ? 
Comment reconsidérer cette norme acquise qui prône de doubler la concurrence ? 
Est-il encore vraiment sérieux de considérer que la croissance des entreprises et l’amélioration des profits suffisent à définir 
la réussite ? 

Alliance entre croissance et nature : en marche vers un déconditionnement ?


En France, 77% des marques pourraient disparaître dans l’indifférence générale. Ce chiffre atteint les 87% dans le monde. C’est le résultat édifiant d’une étude de Havas Meaningful brands de 2019. 

Si l’entreprise détient une grande part de responsabilité dans l’accroissement des inégalités et dans le changement climatique que nous vivons, elle est aussi la mieux placée pour les freiner. “Face à une situation où les difficultés s’accumulent, nous devons nous élever avec elle. Quand tout est nouveau, nous devons alors renouveler notre pensée et nos actions”, évoquait le président Lincoln. 

Aucune production ne peut aujourd’hui prétendre avoir un impact totalement écologique. Alors que 84% des Français souhaitent voir l’entreprise jouer un rôle pour le bien commun (étude Espy/Tilt BrandGagement 2020), elle semble être devenue le nouvel acteur politique de nos sociétés : “L’impact et l’effet de levier sont aujourd’hui beaucoup plus du côté de la sphère socio-économique que du côté de la sphère politique”, explique Alain Renaudin, figure du biomimétisme et fondateur de Biomim’expo. Si l’acteur politique a le pouvoir de légiférer pour proposer un projet de société, c’est à l’acteur économique, indispensable, que revient le rôle principal. Pour comprendre les contours de l’entreprise d’après, l’emlyon business school, propose, avec son dispositif pédagogique initiatique Disrupted Futures, un questionnaire de réflexion (librement inspiré de celui du philosophe Bruno Latour), à destination de dirigeants d’entreprises, d’entrepreneurs (etc.). En effet, au cours des 5 dernières décennies, l’acteur économique a surtout tiré profit d’une action non vertueuse pour son développement économique. Ce n’est plus tenable et il comprend aujourd’hui qu’il peut tirer profit de manière beaucoup plus importante grâce à une action vertueuse : il n’est plus pérenne de saccager les ressources qu’il utilise. Il renforcera également son image de marque auprès de ses clients et bénéficiera d’une plus grande capacité à séduire sur un projet. Après l’ère de la production (1870-1930), l’ère de la vente (années 1930-1950) et l’ère du marketing, l’avènement d’une nouvelle ère de consommation raisonnée est-elle en route ? 


Impacter différemment


Entre 2000 et 2014, la production mondiale de vêtements a été multipliée par 2. L’industrie textile est l’une des plus polluantes au monde, totalisant 1,2 milliard de tonnes annuelles de gaz à effet de serre. C’est plus que l’ensemble du transport aérien et maritime mondiaux réunis (rapport 
A New Textiles Economy: Redesigning fashion’s future de 2017, mené par la Fondation Ellen McArthur). Des engagements sont malgré tout en route, à l’instar de 32 entreprises du textile (Adidas, Nike, Chanel, Prada, Gap, H&M, Zara…) qui ont signé en 2019 un “Fashion pact” visant à passer à 100 % d’énergies renouvelables sur toute la chaîne d’approvisionnement d’ici à 2030 et atteindre zéro émission nette de dioxyde de carbone (CO2) d’ici à 2050, ou comme Zara qui fabriquera d’ici à 2025 toutes ses collections à partir de tissus 100% durables. Certains fabricants choisissent aussi d’impacter là où on ne les attend pas forcément : c’est le cas de Patagonia qui jette les bases d’un capitalisme responsable avec une publicité diffusée lors du Black Friday de 2011 “Don’t buy this jacket”, incitant ainsi à réparer plutôt qu’à acheter. D’autres encore font le choix d’être en totale rupture, tandis que 45% des Français affirment être prêts à payer le même produit/service s’il est issu d’une société à impact positif (étude Espy/Tilt BrandGagement 2020). Vendre moins en proposant des vêtements qui durent plus longtemps, voilà le credo de Julia Faure, créatrice de Loom, marque de vêtements éthiques. Pour elle, aucun doute “Nous avons besoin d’un écosystème de petites et moyennes entreprises utiles. Grossir plus ne rend ni plus efficace, ni plus performant, ni plus heureux.” Enercoop, fournisseur français d’énergie d’origine renouvelable, 900.care, fabricant de produits rechargeables à vie pour prendre soin de soi au quotidien, 1083, fabricant de jeans 100 % bio ou recyclés, dont toutes les étapes de fabrication sont réalisées dans l’Hexagone, et tant d’autres, l’ont bien compris. Afin de pérenniser les activités des entreprises, Alain Renaudin explique “Je prône, quitte à être un peu provocateur, et en complément à la philanthropie ou au mécénat, le « développement durable d’intérêt », comme un actif profitable d’un nouveau paradigme économique. C’est beaucoup plus puissant aujourd’hui de s’inscrire dans une action vertueuse, en résonance positive ».


Encourager le positif : un impératif

À la suite des marches pour le climat de mars 2019, des chercheurs écrivent, dans une lettre publiée sur la plateforme associative lundimatin : 
“En l’état actuel de nos connaissances, il n’existe pas de solution technologique qui permette à toute la planète d’avoir notre niveau de confort actuel sans mettre en péril le climat et le vivant. Les gens qui vous disent le contraire se trompent par ignorance, ont fait des erreurs de calcul, ou mentent par intérêt.”

Jean-François Galloüin, entrepreneur de renom, professeur à CentraleSupélec et membre de l’Advisory Board de FinX, explique : “Tout est une question de volonté, de choix, de responsabilité. Il faut garder à l’esprit que tout le monde ne peut pas faire de l’économie circulaire mais que les petits pas sont nécessaires. Et de toute façon, les business models et les curseurs évoluent et évolueront en permanence”. Malgré leurs échéances qui peuvent sembler lointaines, les initiatives des (très) grands groupes (rapports de développement durable, audits, etc.), sont là, auront -forcément- un impact conséquent et deviendront de plus en plus nombreuses (effet boule de neige). Il est certes très difficile d’avoir une action 100% positive. Il faut accepter d’avoir une action qui n’est pas encore idéale, mais qui va dans le bon sens. Ces initiatives méritent d’être encouragées. Et, alors que nous publions au sortir du confinement, il y a fort à parier que ces sociétés accélèrent d’elles-mêmes ce processus. Il n’y a pas de petit pas, au même titre qu’il n’y a pas de petits gestes quand nous sommes 67 millions en France à le faire. Nous sommes capables de nous adapter en un temps record, l’épisode du confinement l’a prouvé. Le discours que nous tenons aujourd’hui n’aurait pas été le même il y a quelques années, pas non plus le même il y a quelques semaines et il ne sera certainement pas le même dans quelque temps. 

On vous donne rendez-vous dans 3 ans pour en reparler !


Alexandra Corsi Chopin